L'équipe de CPC-GENE s'est constituée pour étudier le cancer de la prostate. Et, voici ce qu'elle a découvert.

Comment peut-on trouver de meilleures façons de combattre le cancer de la prostate? Il y a cinq ans, une équipe multidisciplinaire et pluri-institutionelle s'est formée pour le découvrir. Leur recherche conjuguée a changé la compréhension du cancer de la prostate et a permis de trouver de nouvelles et de meilleures façons de mieux diagnostiquer et prendre en charge la maladie.

Il y a vingt ans, des chercheurs du Princess Margaret Hospital (maintenant le Princess Margaret Cancer Centre) ont mis sur pied une banque d'échantillons de tumeurs de cancer de la prostate recueillis auprès de patients consentants sur le point de recevoir de la radiothérapie. Ils ont pensé que les échantillons pourraient être utiles plus tard quand on aurait une meilleure compréhension de la biologie sous-jacente de la maladie. Mais, ils ignoraient qu'ils jetaient les bases du plus vaste projet de recherche en génomique du cancer de la prostate dans le monde entier : le projet Canadian Prostate Cancer Genome ou CPC-GENE.

L'IORC et Cancer de la prostate Canada ont fondé CPC-GENE en 2011 (grâce à des fonds de la Fondation Movember), réunissant une équipe multidisciplinaire, pluri-institutionelle et pancanadienne pour utiliser ces échantillons dans le but de trouver des biomarqueurs génomiques qui permettraient de diagnostiquer avec plus de précision le cancer de la prostate. L’objectif était de mieux reconnaître les hommes atteints de la forme agressive de la maladie qui doivent recevoir des traitements intensifs en plus de subir une chirurgie ou de recevoir de la radiothérapie pour que leur état s'améliore.

…de nombreux hommes pourront éviter les effets indésirables nuisibles des radiations et de la chirurgie, tandis que ceux atteints d'un cancer agressif pourront recevoir le bon traitement plus rapidement…

Le cancer de la prostate présente une problématique particulière pour les chercheurs et les cliniciens. Chez les hommes au Canada, il s'agit du cancer le plus courant et la troisième cause de mortalité, mais tous les cancers de la prostate ne se ressemblent pas. Certains ont une croissance lente et prendront des années avant d'être mortel (si ce n'est jamais). D'autres sont agressifs et doivent être traités immédiatement et de façon énergique. Malheureusement, il n'existe pas encore d'outils permettant de déterminer avec précision si un cancer est agressif ou non, ainsi bon nombre d'hommes reçoivent un traitement sous-optimal. De nouveaux tests plus précis sont nécessaires pour administrer le bon traitement au bon patient.

Le projet CPC-GENE s'est terminé en décembre 2016 et les résultats obtenus ont été exceptionnels. En cinq ans d'activités, le groupe a fait le séquençage de 429 échantillons de tumeurs provenant de 386 patients et s'est servi des résultats pour mieux comprendre le cancer de la prostate et son développement. Les découvertes publiées dans des revues prestigieuses comme Nature et The Lancet Oncology ont aidé le milieu de la recherche à mieux comprendre les origines génétiques de la maladie. Le groupe a partagé les données du séquençage avec des chercheurs du monde entier grâce à la participation du projet CPC-GENE au Consortium international de génomique du cancer.

Surtout, l'équipe a rempli la mission déclarée du projet, soit mettre au point des biomarqueurs génomiques qui aideraient à mieux diagnostiquer le cancer de la prostate, avec l’identification de deux signatures qui ont surpassé tous les tests publiés et cliniquement approuvés pour le dépistage du cancer de la prostate agressif.

Ces signatures sont maintenant testées et améliorées pour passer au milieu clinique où elles pourront éclairer sur le degré d'agressivité du cancer de la prostate d'un patient et guider les décisions au moment de traiter. Grâce aux résultats de cette recherche, de nombreux hommes pourront éviter les effets indésirables nuisibles des radiations et de la chirurgie, tandis que ceux atteints d'un cancer agressif pourront recevoir le bon traitement plus rapidement.

Nous avons parlé à M. Paul Boutros, docteur en biophysique médicale, et au Dr Rob Bristow, médecin et docteur en biophysique médicale, les codirecteurs du projet CPC-GENE, et au Dr Michael Fraser, directeur adjoint du projet CPC-GENE, au sujet de l'évolution, des difficultés et des succès du projet ainsi que du rôle joué par la collaboration multidisciplinaire dans son succès.

CPC gene Principals

Paul Boutros, Robert Bristow et Michael Fraser

Quelles ont été les principales difficultés d'un projet de cette envergure?

Paul Boutros : La formation de l'équipe et le caractère nouveau de la science qui était utilisée. Il n'existait pas de programme de recherche en génomique du cancer de la prostate ici à Toronto sur lequel on pouvait s'appuyer. Nous devions vraiment partir de zéro. Nous devions faire des liens entre les disciplines, soit les banques de données biologiques, l'analyse informatique et la génomique. Nous devions réunir chercheurs et cliniciens.

Michael Fraser : Je pense qu'au départ, la partie la plus difficile du projet était d'amener tous les participants à travailler dans le même sens et à vouloir la même chose, parce que nous travaillions avec des chercheurs très indépendants, mais nous devions également avoir une seule vision.

PB : En fait, je dirais que la seule chose que nous devions vraiment apprendre était de faire confiance.

Robert Bristow : Et, d’avoir de la patience.

PB : Les relations interpersonnelles sont plus importantes que tout autre chose.

RB : Vous devez être convaincu que chaque membre de l'équipe fonctionne bien et que la qualité de leur travail est parfaite. Les résultats obtenus par chacun des membres devaient être de grande qualité et produits rapidement, puis l'équipe devait assembler toutes les pièces.

Quelle a été la réaction initiale du milieu de la recherche face à votre travail?

MF : Je pense qu'il nous a fallu un certain temps pour être reconnus sur la scène internationale.

RB : L'un des premiers tournants décisifs a été d'obtenir des commentaires après la publication de notre premier article et de voir que les gens se rendaient compte que nos travaux étaient réellement novateurs et que personne n'avait réussi à parvenir à ce résultat auparavant.

PB : Le premier article que nous avons proposé à la revue Nature Medicine en fait, a été rejeté après l'évaluation par les pairs.

RB : Curieusement, l'article a également été refusé par Lancet Oncology et nous l'avons représenté accompagné d'une longue lettre. Ils nous ont demandé si la recherche était vraiment importante. J'ai écrit une lettre très ferme au nom de l'équipe pour leur demander de reconsidérer l'article et leur expliquer comment la recherche était importante et comment elle pourrait changer les soins aux patients.

PB : (Rires) Nous sommes réputés pour discuter passionnément de nos travaux avec les rédacteurs en chef pour les aider à reconnaître la véritable valeur clinique qu'ils apportent.

RB: C'est vrai. Mais une fois que notre article a été publié dans la revue Lancet Oncology, nos travaux et notre équipe ont été davantage reconnus au moment du prochain cycle de soumissions. Et, cela s’est traduit par beaucoup plus de collaborations avec d'autres équipes à l'échelle internationale.

Quelles sont les principales réalisations de l'équipe?

MF : Au moment où nous avons commencé, pratiquement personne ne faisait de recherche en génomique du cancer axée sur les résultats pour la pratique clinique. Nous savions que nous faisions quelque chose d'unique. Et maintenant, nous assistons à la répétition de cette démarche avec de vastes consortiums sur la génomique du cancer comme ICGCmed, qui fera exactement ce que nous avons fait mais sur une échelle beaucoup plus grande.

Nous avons créé un ensemble de données génomiques et cliniques qui a le potentiel de stimuler des découvertes pour des décennies - M Michael Fraser

RB : Selon moi, nous avons vraiment fait le travail que nous avions dit que nous ferions et nous l'avons bien fait. Nous avons amené des personnes qui n'avaient jamais travaillé ensemble auparavant à former une équipe et nous avons mis au point un produit qui peut être utilisé en pratique clinique. Tout le monde reconnaît que le véritable rendement des investissements est un bon test clinique qui est utilisé pour répondre au problème que nous voulions résoudre. Il y a très peu de chercheurs ou de cliniciens qui participent à un projet comme celui-ci et qui se rendent à la toute fin du processus, c'est-à-dire l'utilisation clinique. C'est presque comme trouver le Saint-Graal de la science.

PB : Je suis aussi très fier de la souplesse de l'équipe avec laquelle nous avons travaillé. Si vous nous aviez vu le premier jour, nous avions chacun nos propres compétences, croyances et préjugés, mais au fil du temps nous avons simplement sauté harmonieusement dans la nouveauté. Il y avait une volonté de faire ce qui était nécessaire pour répondre à une question importante. Peu importe ce que c'était, une fois qu'on avait pris la décision qu'une chose devait être faite tout le monde travaillait dans le même sens pour y parvenir.

Pourquoi pensez-vous que ce groupe en particulier a été capable de travailler si bien ensemble?

MF: Probablement parce qu'il y avait un bon leadership, une bonne vision et un vrai consensus autour de la question.

PB: Il a toujours été clair que nous accomplissions un travail important, et c’est pourquoi les participants y ont cru. Mais, nous avons également engagé des personnes intelligentes et motivées et nous aurions réussi peu importe ce que nous aurions entrepris. Et bien sûr, le fait d'avoir été dans un environnement de collaboration avec de bonnes ressources comme celui de l'IORC a contribué au succès.

RB: Une fois que les gens voient une équipe qui fonctionne bien, et que vous êtes capable d'obtenir des résultats, vous devenez alors une option. Nous l'étions. Nous avons demandé à d'autres groupes de collaborer avec nous et ils ont été très ouverts en partageant des données avec nous. Ce sont des groupes qui auraient pu travailler avec n'importe qui, ils ont tout de même choisi de travailler avec nous.

Il y a très peu de chercheurs ou de cliniciens qui participent à un projet comme celui-ci et qui se rendent à la toute fin du processus, c'est-à-dire l'utilisation clinique. C'est presque comme trouver le Saint-Graal de la science - Dr Robert Bristow

En ce qui concerne l'avenir, qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus à propos de l'héritage du projet CPC-GENE?

MF: Nous avons créé un ensemble de données génomiques et cliniques qui a le potentiel de stimuler des découvertes pour des décennies. Des questions importantes demeurent et l'ensemble de données permettant d'y répondre – avec le temps – demeure également. Ainsi, non seulement avons-nous généré des données intéressantes, avec un potentiel de ramifications énorme dans la pratique clinique, nous avons également produit une ressource que les meilleurs cerveaux pourront consulter pendant des années. Que demander de plus à un programme?

PB: Je suis très heureux de voir tous les stagiaires qui ont travaillé au projet CPC-GENE et où les mènera leur carrière. Ils vont étudier des questions différentes, mais liées et inspirées par le travail que nous avons accompli et je pense que c'est un héritage du projet qui pourra s'observer pendant des décennies. De plus, le travail réalisé a porté principalement sur un contexte de risque intermédiaire, mais je pense qu'il y a des possibilités stimulantes pour voir comment on pourra l'utiliser dans d'autres scénarios cliniques dans le cancer de la prostate. Surtout, j'ai hâte d'amener les tests existants dans le milieu clinique.

RB: Nous avons maintenant un groupe de travail mondial dans lequel les génomes séquencés à Toronto seront ajoutés à ceux séquencés en Allemagne, en Australie et aux États-Unis. Nous pourrons donc maintenant aborder des questions d'importance que nous ne pouvions pas aborder avec une petite cohorte de patients. Cela va permettre encore plus de collaborations et, je crois, plus de percées pour les patients et plus d'améliorations à leurs traitements.