Constituer une cohorte canadienne pour une nouvelle ère de recherche en santé

Comprendre les liens entre la biologie, l’environnement et la santé est essentiel pour prévenir des maladies comme le cancer. Des années de recherche ont mené à d’importantes découvertes en santé, comme le lien qui existe entre le tabagisme et le cancer et le rôle que jouent l’alimentation et l’activité physique dans le développement des maladies cardiaques. Ces percées ont conduit à l’élaboration de politiques publiques favorisant la réduction du tabagisme et l’adoption de saines habitudes de vie qui, en retour, ont contribué à réduire l’incidence du cancer et des autres maladies.

Les données probantes à l’origine de ces changements proviennent d’études de cohorte à long terme qui ont permis de suivre des populations pendant de longues périodes de temps et de consigner des données sur la santé et les habitudes de vie et, ultimement, des résultats sur la santé des participants. D’autres pays ont réalisé de vastes études de cohorte qui ont favorisé la recherche sur la prévention de maladies, mais pendant de nombreuses années, le Canada a tiré de l’arrière.

CPTP LogoLa situation a changé au cours de la dernière décennie avec la mise sur pied du Projet de partenariat canadien Espoir pour demain (PPCED) et des activités de recrutement dans huit provinces. Ces groupes ont travaillé ensemble pour recruter plus de 300 000 participants au PPCED et faire ainsi de ce projet la plus vaste étude de cohorte sur la santé de la population au Canada.

Cette année a marqué le début d’une nouvelle phase pour le PPCED. En partenariat avec l’IORC, l’Université de Toronto a été sélectionnée pour être le point d’ancrage scientifique du PPCED, sous la gouverne de Philip Awadalla, docteur en génétique des populations et en statistique génétique et directeur du programme de bio-informatique à l’IORC, à titre de directeur scientifique national. La nouvelle équipe de direction du PPCED comprend John McLaughlin, docteur en épidémiologie et professeur à l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, où le PPCED est maintenant basé. Le nouveau partenariat s’appuie sur le rôle établi de l’IORC à titre de siège des bases de données harmonisées du PPCED pour rendre celles-ci plus accessibles aux chercheurs du monde entier par l’entremise d’un portail unique qui leur facilite l’accès aux données du PPCED et leur permet de faire de nouvelles découvertes sur la prévention et le contrôle des maladies.

Pictured (left to right): Dr. John Mc Laughlin, Executive Director of CPTP; Cindy Morton, Chief Executive Officer of the Canadian Partnership Against Cancer.; and Dr. Philip Awadalla, National Scientific Director of CPTP.

Photographiés (de gauche à droite) : John Mc Laughlin, Ph. D., directeur général du PPCED, Cindy Morton, présidente-directrice générale du Partenariat Canadien contre le cancer et Philip Awadalla, Ph. D., directeur scientifique national du PPCED.

Pour les nombreux artisans de la première heure de cette ressource nationale, cette étape marque la réalisation d’un ambitieux objectif à long terme. Pour ceux qui dirigent actuellement le projet, il s’agit d’une nouvelle occasion d’amener la communauté scientifique à tirer le meilleur parti du remarquable actif du PPCED, qui est le résultat des généreux dons faits par des centaines de milliers de Canadiens pour aider à améliorer la santé des générations futures.

Plus forts ensemble

Aujourd’hui le PPCED se positionne comme une nouvelle et prodigieuse ressource pour le milieu de la recherche à l’échelle internationale – une ressource qui commence tout juste à être exploitée.

« Avec une cohorte composée de 300 000 participants, la base de données est très bien alimentée », affirme M. Awadalla, en soulignant que l’harmonisation des données des cohortes régionales en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, au Québec et dans les provinces de l’Atlantique était la clé permettant d’obtenir une cohorte de taille suffisante pour contribuer de façon importante aux études sur des maladies complexe comme le cancer.

Tandis que l’on continuera d’exploiter les cohortes régionales et que celles-ci fourniront de nouvelles données au PPCED au cours des prochaines décennies grâce à des questionnaires de suivi continu, la nouvelle orientation nationale du PPCED permettra aux chercheurs de répondre à des questions pancanadiennes importantes. « Les chercheurs pourront désormais poser des questions aussi facilement sur les Ontariens que sur les personnes vivant à l’Île-du-Prince-Édouard, puisque le PPCED regroupe l’information à un seul endroit. Ce regroupement a été l’élément moteur essentiel de l’harmonisation des données au cours des dernières années, dit Awadalla. Nous sommes plus forts quand nous travaillons tous ensemble. »

Cette collaboration aura d’énormes avantages pour les Canadiens, puisque les données procurent des renseignements qui portent spécifiquement sur la santé de la population canadienne. Cette population a des caractéristiques uniques qu’on ne peut pas trouver regroupées ailleurs, comme la diversité ethnique, la distribution de la population et les systèmes de santé publics gérés par les provinces. « Parce que la population canadienne est unique, les données auront une saveur canadienne unique qu’on ne pourra pas retrouver en étudiant d’autres populations ailleurs dans le monde », affirme-t-il.

Le résultat obtenu est un nouvel ensemble de données qui appuiera la recherche de précision dans le domaine de la santé au Canada et qui, en fin de compte, permettra d’avoir de meilleurs outils pour prévenir, traiter et prendre en charge des maladies comme le cancer ailleurs. Ce partenariat contribuera également à ce que l’étude ait un profil international, y compris par des collaborations avec d’autres cohortes nationales d’importance, comme la UK Biobank et le projet All of Us aux États-Unis.

Le succès d’aujourd’hui : le fruit de deux décennies

Lorsqu’il a établi l’Université de Toronto comme point d’ancrage scientifique du PPCED, John McLaughlin a été nommé directeur général du PPCED. Cette nomination marque le retour de M. McLaughlin comme joueur actif dans le développement d’importants projets de cohortes au Canada, une activité à laquelle il participe depuis la fin des années 1990. Il a été directeur fondateur de l’Étude sur la santé Ontario (ÉSO) et un intervenant de premier plan dans la mise en œuvre du PPCED et de l’ÉSO. Pour M. McLaughlin, atteindre la phase actuelle de développement de la cohorte est ce à quoi lui et bon nombre de personnes aspiraient il y a de nombreuses années tout en sachant qu’il faudrait une somme considérable de travail pour y parvenir.

« Les études de cohorte approfondies sont essentielles et constituent le fondement de nombreuses recherches dans les domaines biomédical et de la santé, mais les scientifiques spécialisés dans l’étude des populations ont reconnu qu’elles étaient inexistantes au Canada », affirme M. McLaughlin au sujet du milieu de la recherche au début des années 2000. M. McLaughlin attribue au Réseau ontarien de recherche sur le cancer (RORC), le prédécesseur de l’IORC, le mérite d’avoir su très vite reconnaître la valeur d’une étude de cohorte. Le RORC a fourni le financement initial pour évaluer la faisabilité de la mise sur pied d’une cohorte provinciale en Ontario.

L’idée n’était pas entièrement nouvelle : en fait, l’Alberta et le Québec venaient tout juste de lancer leurs propres études de cohorte régionales (qui rejoindront plus tard le PPCED). Cette initiative a contribué à appuyer l’idée qu’une cohorte nationale d’importance était utile. « Nous reconnaissions les forces de chaque cohorte provinciale, mais aussi qu’un vaste consortium de cohortes pancanadien pouvait être mis sur pied et qu’il ajouterait énormément de valeur aux recherches », se rappelle M. McLaughlin.

Le PPCED regroupe l’information à un seul endroit. Ce regroupement a été l’élément moteur essentiel de l’harmonisation des données au cours des dernières années. Nous sommes plus forts quand nous travaillons tous ensemble.
– M. Philip Awadalla

Ce moment a coïncidé avec la formation de deux nouveaux organismes qui ont vu le potentiel d’une vaste étude de cohorte : l’IORC en Ontario et le Partenariat canadien contre le cancer à l’échelle nationale. La mise sur pied d’une nouvelle cohorte faisait partie du mandat de départ des deux organismes lors de leur fondation. « La vision partagée par le milieu de la recherche et les fondateurs, ainsi que les orientations stratégiques déterminées par le Partenariat canadien contre le cancer et l’IORC ont permis d’obtenir les nouveaux investissements nécessaires au lancement d’un vaste projet de cohorte à l’origine des solides fondations qui existent aujourd’hui », affirme M. McLaughlin.

Pour M. McLaughlin, l’intégration complète des cohortes cette année et l’établissement d’un point d’ancrage scientifique sont les dernières étapes importantes pour la réalisation des aspirations qui remontent à près de deux décennies. « Nous pouvons maintenant recentrer nos efforts afin de donner collectivement suite à notre promesse de réaliser le vaste projet audacieux et ambitieux qui était prévu dès le premier jour ».

Regarder vers l’avenir

Au mois de mars de cette année, le laboratoire de M. Awadalla a publié un article dans la revue Nature Communications qui a montré que les expositions à l’environnement, comme l’exposition à la pollution de l’air, sont plus déterminantes pour la santé respiratoire que les gènes héréditaires. L’étude, qui associait des données biologiques et des données sur la santé recueillies par questionnaire au Québec à des données environnementales nationales, montre le potentiel du PPCED comme ressource pour les chercheurs. Même si on y examinait des facteurs régionaux dans des zones rurales et urbaines au Québec, les résultats obtenus sont applicables dans le monde entier.

« L’étude montre vraiment comment les données du PPCED peuvent être utilisées pour mieux comprendre de quelle manière nos gènes interagissent avec les expositions environnementales et façonnent la santé des individus », explique M. Awadalla. Elle a également montré le potentiel extrêmement prometteur du séquençage génomique, dont le prix chute rapidement et qui devient de plus en plus envisageable dans des études de grande envergure comme celle du PPCED.

Dans l’étude menée par le laboratoire de M. Awadalla, on a procédé au séquençage d’échantillons de sang fournis par les participants pour obtenir des renseignements cruciaux sur des facteurs génétiques sous-jacents dont les participants ne pouvaient pas facilement rendre compte dans un questionnaire. Ce n’est pas la première étude de ce chercheur à exploiter le potentiel génomique des données du PPCED : des études antérieures publiées dans la revue Science en 2014 et dans la revue Nature Genetics en 2015 l’ont déjà fait. Cette étude va tout à fait dans le sens des projets futurs de M. Awadalla pour le PPCED. « Nous voulons sortir la biologie du congélateur et la convertir en données, dit-il. Nous ne voulons pas seulement un grand nombre de participants, mais aussi une grande quantité de données pour approfondir nos connaissances et élaborer des stratégies de prévention plus précises. »

L’étude montre vraiment comment les données du PPCED peuvent être utilisées pour mieux comprendre de quelle manière nos gènes interagissent avec les expositions environnementales et façonnent la santé des individus.
– M. Philip Awadalla

M. Awadalla prévoit également assurer une liaison plus étroite avec les données administratives provinciales sur les soins de santé, des ressources importantes qui aident à améliorer les données fournies par les participants dans le questionnaire, en liant les données autodéclarées avec les interactions réelles dans le système de santé (les données sont anonymisées afin que les chercheurs ne puissent pas identifier les participants).

Le recrutement est maintenant terminé dans huit provinces, et le Manitoba s’est maintenant joint au programme et a commencé ses activités pour soutenir le recrutement de participants. De plus, M. Awadalla espère collaborer avec certaines collectivités qui, à l’heure actuelle, sont sous-représentées; ainsi, le dialogue est amorcé pour inclure des communautés autochtones. « Certains participants à l’étude sont des Inuits, des Métis et des représentants des Premières nations. Nous souhaitons nous engager activement auprès des chefs de ces communautés pour évaluer comment nous pouvons les aider à soutenir des projets de recherche en santé dans leur intérêt. »

De nouvelles démarches ont également été entreprises pour mieux faire connaître le PPCED et son utilité auprès du milieu scientifique. Une partie de ces démarches consiste à mettre sur pied une nouvelle structure de direction scientifique qui, comme le souhaite M. Awadalla, offrira de nouvelles perspectives et de nouveaux domaines d’expertise. Il incombera à cette direction de s’assurer que les données qui leur sont confiées par les participants auront la plus grande incidence possible pour les générations futures.

M. Awadalla s’intéresse à l’évolution de la cohorte au fil du temps et à la façon dont le milieu de la recherche utilise les données. « Il s’agit d’une cohorte vivante et dynamique qui continuera d’évoluer. Nous communiquerons de façon constante avec nos participants pour leur poser de nouvelles questions pour lesquelles nous ne pourrions pas obtenir de réponse par l’intermédiaire du dossier de santé électronique ni par d’autres moyens. Les renseignements recueillis sur la cohorte ne feront qu’augmenter et ils deviendront de plus en plus utiles avec le temps. »

Même si à ce jour le programme a déjà appuyé plus de 100 projets de recherche provenant de chercheurs universitaires et de l’industrie, le nombre de données continuera d’augmenter et ces données deviendront de plus en plus puissantes. Il revient maintenant à la communauté des chercheurs d’en tirer le meilleur parti. « Nous avons une bonne idée de ce qui peut être fait avec ces données, mais il y aura aussi des découvertes qui iront au-delà de ce que nous avons imaginé, affirme M. Awadalla. L’accessibilité de ces données à toute la communauté des chercheurs est ce qui a fait la force de ces données et, par conséquent, le potentiel de découvertes est incommensurable. »