L’IORC est à la tête de plus de 700 chercheurs du monde entier dans le cadre d’une exploration sans précédent de la matière noire du génome du cancer humain.
Notre bagage génétique complet est constitué de trois milliards de lettres de code et, pourtant, tout ce que nous savons sur le cancer à ce jour ne provient que de 1 % de ces lettres.
Qu’en est-il des 99 % restants? Ces régions pourraient-elles être la clé qui permettrait de trouver de nouvelles solutions pour traiter le cancer? Que trouverions-nous si nous explorions cette matière noire? Le Dr Lincoln Stein a voulu le savoir, et il n’était pas le seul.
À l’automne 2015, plus de 700 chercheurs du Consortium international de génomique du cancer (International Cancer Genome Consortium ou ICGC) ont manifesté leur intérêt pour l’exploration de ces régions inconnues. Quatre ans plus tard et après l’analyse de plusieurs centaines de téraoctets de données, ils ont trouvé des façons de cartographier l’histoire évolutive du cancer, décelé des traces de la maladie longtemps avant qu’elle soit diagnostiquée et rehaussé les normes mondiales en matière de recherche et de partage des données génomiques.
« À l’annonce de ce projet, nous avons été enchantés de l’énorme intérêt qu’il a suscité », déclare Jennifer Jennings, chargée de projet principale de l’ICGC. Elle dit que c’est à ce moment que les dirigeants scientifiques de l’ICGC ont compris qu’une action concertée était nécessaire pour s’attaquer aux problèmes fréquents d’ordre informatique et logistique, tirer parti des forces de leurs collaborateurs et mettre au point une infrastructure partagée pour réaliser les objectifs ultimes de cette recherche.
Ce projet, qu’ils ont appelé Pan-Cancer Analysis of Whole Genomes Project ou PCAWG, allait bientôt devenir la plus grande analyse « pan-cancer » de génomes complets jamais réalisée et l’une des plus vastes recherches coordonnées en cancérologie entreprises jusqu’à maintenant.
M. Stein et un petit groupe de leaders scientifiques ont relevé le défi de synchroniser les groupes de recherche ayant des objectifs de recherche similaires, en réaménageant les compétences de façon stratégique et en coordonnant la collaboration à l’échelle internationale.
« Organiser le travail et réunir tous ces chercheurs représentait le plus grand défi », explique M. Stein, chef du programme d’oncologie adaptative à l’IORC. « Collaborer avec d’autres personnes peut nécessiter plus de temps au début et les avantages ne sont pas toujours évidents, mais la rigueur des résultats scientifiques obtenus et les progrès réalisés sont plus grands que ceux auxquels n’importe lequel d’entre nous aurait pu prétendre en travaillant seul. »
Les chercheurs du PCAWG ont étudié plus de 2 800 génomes de cancer complets provenant de patients ayant fait don à l’ICGC d’échantillons prélevés sur plus de 20 principaux sites de l’organisme comme le pancréas et le cerveau. Ils ont créé des outils de calcul informatiques et établi l’infrastructure nécessaire pour traiter et analyser plus de 800 téraoctets de données génomiques de façon standardisée, avec précision et en temps opportun.
À l’aide de ces outils, ils ont été en mesure de déterminer l’ordre de progression des modifications génétiques qui causent certains types de cancer et ont montré que ces changements peuvent se produire des décennies avant le diagnostic.
« Dans des cas exceptionnels, comme dans certains cancers des ovaires, nous avons pu constater que ces changements précoces se produisaient de 10 à 20 ans avant que la patiente présente des symptômes, indique M. Stein. Cette période de temps offre des possibilités de dépistage et de traitement précoces beaucoup plus grandes que ce que nous croyions possible. »
Comprendre l’ordre des modifications génétiques en cause dans le cancer – ou la probabilité qu’une modification se produise après une autre – peut permettre aux chercheurs de déjouer l’évolution de la tumeur. M. Stein affirme que cette compréhension pourrait les aider à élaborer de nouvelles stratégies pour traiter ces modifications au moment où elles se produisent ou pour empêcher qu’elles se produisent.
« Nous avons découvert les causes auparavant inexpliquées des deux tiers des cancers, et ce n’est que le début. » - Dr. Stein
Les chercheurs du PCAWG ont également découvert des schémas de distribution des mutations génétiques qui reviennent souvent et qui pourraient laisser entrevoir de nouvelles causes de cancer. Semblables aux signatures génétiques courantes associées au tabagisme et aux rayons ultraviolets, ces schémas peuvent révéler des causes environnementales ou comportementales inconnues qui, une fois bien comprises, pourraient permettre de modifier l’évolution du cancer et de le prévenir.
« Les connaissances que le PCAWG nous a permis d’acquérir sur le plan biologique ont fait énormément progresser notre compréhension de la génomique du cancer et nous sommes près de connaître toutes les voies moléculaires qui jouent un rôle dans le cancer, affirme M. Stein. Nous avons découvert les causes auparavant inexpliquées des deux tiers des cancers, et ce n’est que le début. »
En juillet dernier, les données du PCAWG ont été officiellement mises à la disposition de la communauté scientifique, qui pourra s’en servir comme ressource dans le cadre de futures recherches sur le cancer. Plus de 15 articles scientifiques fondés sur ces données ont déjà été publiés, et l’on s’attend à ce que 40 autres soient publiés rien que dans la prochaine année.
Les méthodologies utilisées dans le cadre du PCAWG sont aujourd’hui la référence mondiale en matière de traitement et d’analyse des données sur les génomes complets. On continuera d’y avoir recours dans les années à venir à mesure qu’augmente partout dans le monde le nombre d’échantillons prélevés et séquencés. Tous les outils de calcul informatiques connexes, y compris les outils de découverte et d’exploration des données, ont été mis à la disposition du public.
« Nous avons offert gratuitement aux chercheurs en cancérologie du monde entier l’accès aux données génomiques et aux pipelines d’outils de calcul informatiques pour les analyser, déclare M. Stein. Dorénavant, d’autres scientifiques sont en mesure d’analyser ces données – ou de nouvelles données – de la même manière que nous l’avons fait pour réaliser de nouvelles découvertes en cancérologie. »